Un mini-budget qui goûte le pâté chinois «réchauffé»?
CHRONIQUE / Personne ne s’attendait à ce que la ministre des Finances, Chrystia Freeland, nous annonce, dans sa mise à jour économique déposée jeudi à Ottawa, que son gouvernement venait de trouver la formule magique pour contrer l’inflation qui pointe à l’horizon.
Mais on se serait attendu à ce qu’elle nous surprenne un peu, tout de même. Faut croire qu’en ces temps d’incertitude, la ministre a préféré rester sur la défensive. Ce qui lui a sans doute valu quelques bonnes tapes dans le dos venant de la part de ses coéquipiers, aux Communes.
Sauf que dans nos chaumières, nous sommes restés sur notre faim...
Nous avons eu droit à un mini-budget sans couleur, sans saveur, qui goûtait le «pâté chinois réchauffé», pour reprendre l’expression savoureuse du critique du Bloc québécois en matière de finances, le député de Joliette Gabriel Ste-Marie.
«C’est ben décevant. C’est du réchauffé contre l’inflation», a-t-il résumé.
Il aurait souhaité que la ministre fasse preuve de plus de compréhension – et propose des incitatifs fiscaux – pour les 65 ans et plus qui continuent de travailler pour joindre les deux bouts.
Il demandait en outre à ce qu’on augmente de 10% la pension de la Sécurité de la vieillesse dès l’âge de 65 ans, et non pas 75 ans.
Indicateurs au rouge
Rien de tout cela dans cet énoncé qui ne passera pas à l’histoire. Du «réchauffé» servi en ce début du mois de novembre, alors que tous les indicateurs sont au rouge. Sans jouer aux alarmistes, force est de constater que l’économie se dirige tout droit vers un cul-de-sac.
Tout tourne au ralenti. Les ménages québécois continuent de s’endetter. Un sondage d’Equifax Canada révélait, plus tôt cette semaine, que le solde des cartes de crédit atteint maintenant 2121 dollars. La dette non hypothécaire se situe par ailleurs à plus de 21 000 dollars.
Les ventes de maisons sont en chute libre. En octobre, la baisse a été de 35% dans la grande région de Montréal. C’est un peu moins dans l’ensemble du Québec, légèrement sous les 30%, mais cela en dit beaucoup sur l’ampleur du ralentissement observé au cours des derniers mois.
Pas de répit pour les PME
Et qu’en est-il des PME? Les dirigeants de petites et moyennes entreprises ont-ils eu de quoi se mettre sous la dent dans le mini-budget Freeland?
«On est très déçus. On n’a rien vu pour améliorer la situation de nos membres, à moins qu’il y avait une ligne de cachée quelque part dans l’énoncé», déplore Jasmin Guénette, vice-président affaires nationales à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).
Il a espéré jusqu’à la toute dernière minute que le gouvernement libéral de Justin Trudeau donne une bonne dose d’oxygène aux chefs d’entreprises, lourdement endettés en raison de la pandémie.
«La crise sanitaire a fait très mal, qu’on pense aux restaurateurs, aux propriétaires de commerces de détail, notamment, dit-il. On parle d’une perte de revenus et d’un niveau d’endettement qui s’élève, en moyenne, à 145 000 dollars à l’échelle du pays.»
Il convient que près d’un million de dirigeants d’entreprises ont eu droit à des montants remboursables, variant de 40 000 à 60 000 dollars, pour faire face à la crise qui a débuté le 13 mars 2020. Il fait ici allusion au Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC).
Or, le temps est venu de songer à rembourser ces montants d’argent. La date limite a été fixée au 31 décembre 2023. La Fédération demandait à ce que ça se fasse plutôt à la fin de 2024, question de permettre aux entrepreneurs de souffler un peu.
Manifestement, la requête n’a pas été entendue. «On peut craindre de nombreuses fermetures de commerces, ou encore des faillites et des liquidations. La pression risque de devenir insoutenable au cours des prochains mois», anticipe le vice-président de l’organisation.
Vers un équilibre budgétaire?
Par ailleurs, bien que tous les partis d’opposition ont tiré à boulets rouges sur la ministre des Finances – le contraire aurait été étonnant! – il faut retenir que Chrystia Freeland a évoqué la possibilité que le Canada retrouve l’équilibre budgétaire dans cinq ans, en 2027-2028, avec un surplus anticipé de 4,5 milliards de dollars.
Ce qui serait tout un renversement, considérant les années de déficits successifs qui ont marqué – et qui continuent de marquer – le «règne» des libéraux fédéraux.
À court terme, le solde budgétaire en 2022-2023 sera de (-36,4 milliards $); en 2023-2024, la ministre prévoit un autre déficit de 30,6 milliards $. Les résultats continuent d’être écrits à l’encre rouge. Cela donne bien sûr des arguments au chef conservateur, Pierre Poilievre, qui martèle le même message pour plaire à sa base. Il parle de «justinflation», cette stratégie inflationniste qui, selon sa théorie, contribue à faire augmenter le prix du carburant et des aliments. Encore jeudi, il a dit de Justin Trudeau que c’était un premier ministre «irresponsable», «la cause première de ce qu’on vit aujourd’hui».
Le chef du NPD, Jagmeet Singh, pour sa part, a insisté sur l’importance d’aider les contribuables qui souffrent.
LA question
Et maintenant, LA question: comment Ottawa va-t-il s’y prendre pour atténuer l’impact de la récession qui s’en vient à grande vitesse?
Mystère et boule de gomme. Mais il est déjà acquis que le gouvernement ne réintroduira pas une nouvelle version de la PCU (la prestation canadienne d’urgence).
«Il ne faudrait pas ramener la PCU 2.0», a d’ailleurs commenté le député du Bloc québécois, Gabriel Ste-Marie.
On fera quoi, alors, pour aider les éclopés? Donner du tonus au régime d’assurance-emploi pour soutenir les futurs chômeurs? Aider davantage les travailleurs à faible revenu en bonifiant les allocations prévues à cette fin?
En déposant son mini-budget, la ministre des Finances a pris la peine de mentionner qu’elle a visité une vingtaine de villes afin de rencontrer des travailleurs canadiens, visiter une usine de potasse et un fabricant d’automobiles.
C’est bien d’aller à la rencontre du «monde ordinaire». Espérons qu’elle n’oubliera pas ceux qui besognent au quotidien pour boucler les fins de mois dans son prochain budget.